I. – LES COINS DE TERRE ET LES JARDINS FAMILIAUX

1.- Introduction

A la fin du XIXème siècle, la population ouvrière vivait dans des conditions précaires : salaires insuffisants, longues journées de travail, absence de sécurité sociale, familles nombreuses dont les enfants, bien au-dessous de 14 ans, étaient mis au travail pour compléter les ressources de la famille. L’alcoolisme était très répandu.
Cette situation dramatique préoccupait un certain nombre d’hommes épris de progrès social.
C’est dans ces circonstances et dans cet esprit qu’est née l’idée du coin de terre ou du jardin familial.

2.- Le coin de terre

Le coin de terre est une petite parcelle (1 à 3 ares), cultivée par la famille et faisant partie d’un lotissement d’étendue variable.
Les produits de cette parcelle sont destinés à la consommation familiale; ils ne peuvent, par conséquent, être commercialisés.
Au fil des années – depuis la fin du XIXème siècle – se sont constituées des ligues ayant pour objet de créer des lotissements de coin de terre.
Ces ligues se sont regroupées au niveau national.

3.- L’Office international

Dès 1926, le développement des coins de terre était considérable au point que les dirigeants nationaux éprouvèrent la nécessité de créer un Office international dont le siège fut établi à Luxembourg.
L’Office international des coins de terre– dont les missions sont exposées dans un document ad hoc – coordonne, entre autres, les actions des ligues nationales et assure la représentation au niveau supra national. Il est le lieu d’études des dossiers destinés au Conseil de l’Europe, à l’Union Européenne. Quinze pays y sont affiliés et totalisent 2.300.000 membres cultivant plus ou moins 55.000 hectares.



II.- FONCTION SOCIALE ET ECONOMIQUE ET CONTRIBUTION A LA PROTECTION DE L’ENVIRONNEMENT DU JARDIN FAMILIAL
(Coin de terre)


1.- Fonction sociale

Le coin de terre procure une activité saine, susceptible de « déconnecter » l’homme des soucis du travail quotidien que ce soit à l’atelier ou au bureau.
Cet aspect serait à lui seul suffisant, mais la détente produit de quoi enthousiasmer le jardinier-amateur : les légumes qu’il crée avec l’aide de la nature; les fleurs qui s’épanouissent dans le jardin et ornent la maison.
La détente n’est pas exclusivement physique; elle a une dimension psychique certaine et il arrive souvent que cette activité favorise la solution de tel problème préoccupant auquel on n’apercevait pas d’issue.
Le jardin est aussi un lieu privilégié d’épanouissement de la convivialité. On travaille côte à côte dans nos coins de terre, on converse avec les voisins, on les retrouve souvent, on assiste ensemble à des causeries techniques, on apprend à se connaître et à s’estimer; on se communique des informations sur le jardinage, on échange des semences, mais on discute aussi de l’actualité, des préoccupations du moment.
Le jardin c’est aussi la réponse à l’aspiration au « retour à la terre », phénomène qui a marqué toutes les générations et, dans le concept nouveau de notre mouvement, c’est l’adaptation à toutes les couches de la population. Nombreux sont les coins de terre qui, créant un espace pour les enfants, qui accompagnent leurs parents, leur permettent de s’initier à la connaissance de la nature en cultivant une petite parcelle dont ils récolteront les produits avec émerveillement.
Les personnes âgées, qui ne sont plus à même de cultiver leur parcelle du fait du grand âge ou d’un handicap, reçoivent l’aide bénévole de leurs voisins plus jeunes pour les travaux lourds tels que le bêchage ou le transport des produits. Mais, c’est à l’intention des handicapés qu’ont été crées ces dernières années des jardins adaptés aux différents handicaps. Pour ceux qui ne peuvent se déplacer qu’en fauteuil roulant, ce sont des plates-bandes surélevées et des outils à manches spécialement étudiés qui sont mis à leur disposition. Même les malvoyants et les aveugles peuvent s’adonner aux plaisirs du jardinage, car on les initie par le toucher et par l’odorat à reconnaître les plantes et à apprécier les intervalles de repiquage et d’entretien. Dans les régions industrialisées oü nos lotissements sont souvent importants, le coin de terre – en ces temps de problèmes liés à l’immigration – est devenu un lieu privilégié de contacts et de compréhension entre jardiniers-amateurs de nationalités différentes. Ainsi les coins de terre connaissent-ils le travail paisible de personnes originaires de pays à cultures très différentes; c’est là un moyen d’insertion sociale qui n’est, certes, pas à négliger.

2.- Fonction économique

Beaucoup de lotissements ont été créés durant la guerre 1914-1918. Ils furent « fils de la nécessité » et ils ont procuré en périodes de ravitaillement difficile les vivres essentiels à la survie de la famille.
Ce phénomène s’est développé durant la grande crise des années trente et s’est diversifié durant la guerre 1939-1945 où l’on a vu les ligues organiser la distribution de plants de pommes de terre à leurs membres.
Imaginons l’importance du coin de terre dans les villes aujourd’hui assiégées et ne pouvant compter que sur une aide extérieure périlleuse à acheminer.
Mais, indépendamment de ces situations tragiques, le jardin familial a toujours été l’exemple parfait de la production de qualité.
A une époque oü les tonnages de légumes commercialisés sont obtenus par l’apport massif d’engrais et de pesticides, le jardinier connaît ce qu’il produit et peut l’offrir en toute tranquillité sur la table familiale.
Bien conduit, en calculant les facteurs de production de manière équilibrée, le jardin est susceptible de procurer cette nourriture saine au plus juste prix.
Des études économiques ont montré que le jardin familial pouvait produire chaque année l’équivalent de cinq fois la valeur des dépenses.
Enfin il convient de ne pas négliger l’impact considérable des achats effectués dans le commerce pour l’aménagement et l’entretien des jardins.
Une étude réalisée en France en 1983 estimait à 17 milliards de francs (lourds) la valeur de l’ensemble des achats moyens annuels consentis pour les jardins, au sens large du terme; c’était plus que le marché de la viande !


3.- Fonction environnementale

Le fait de désigner une zone soustraite à l’extension de l’habitat et des activités industrielles et commerciales est, en soi, un premier pas d’importance dans la préservation de l’environnement. Les jardins apportent dans cette zone, une fois aménagée et occupée et plus encore si elle jouxte un parc planté d’arbres, les bienfaits de la végétation chlorophyllienne qui ne sont plus à démontrer. Des études réalisées en utilisant le soufre radioactif ont montré que le SO2 (dioxyde de soufre) était fixé et même métabolisé par les plantes. Mais, c’est vis-à-vis des poussières que l’action de la végétation apparaît particulièrement efficace. La transpiration des plantes, en élevant le degré hygrométrique favorise la sédimentation des particules qui flottent dans l’air ambiant. Bouillenne et Willam (Université de Liège) ont constaté qu’une pelouse retient trois à six fois plus de poussières qu’une vitre et que les pousses feuillées des plantes développe un écran pouvant atteindre par mètre carré de végétation 10 à 20 mètres carrés de surface foliaire provoquant la sédimentation des poussières lourdes et l’adhésion sur les limbes des poussières légères. Ces quelques exemples montrent combien sont efficaces, en tant que purificatrices de l’environnement, les masses vertes que nous créons, que nous cultivons dans nos jardins et dans nos pelouses. Oui, les jardiniers sont les acteurs de la qualité de notre environnement, de l’environnement de tous et il est utile et juste que nous attirions l’attention des Autorités sur le rôle bénéfique de nos ligues ! On peut ajouter que la pollution phonique, le bruit, est sensiblement diminuée par le fait que la végétation atténue les vibrations sonores. De simples haies d’arbres sont susceptibles de réduire le bruit de 5 à 10 décibels par mètre courant planté. Les espaces verts concourent harmonieusement à la régulation du régime des eaux. Ils freinent l’évapotranspiration, c’est-à-dire le total de l’eau perdue par le sol et les plantes qui y croissent. L’écoulement superficiel des eaux se trouve diminué et ralenti d’autant plus que les cultures sont diversifiées, ce qui est bien le cas des potagers de nos coins de terre. De ce fait, l’eau peut s’infiltrer dans le sol et y percoler pour y former la nappe phréatique.
Il convient donc à notre époque de faire valoir la pratique du jardinage comme un vecteur incontournable du respect et de l’amélioration de notre environnement non seulement biologique, mais aussi culturel.


feu prof. Henri MAHU,
ancien président honoraire de la Ligue provinciale du coin de terre et du foyer de Liège.